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importation/exportation

Entretien : Rainer Ganahl - Maria Wutz, 1996

 

(published on thing.net, in 1996)

 

MW : L'entretien que tu as mené avec SylvèreLotringer est d'abord motivé

par la thématique de ton travail sur lesphénomènes

d'importation/exportation de la culture, mais commentconçois-tu cette

démarche d'interwiew en tant que pratique artistique?

 

RG : Les interviews, en tant que partie intégrante demon travail, sont apparus au moment où j'ai commencé à neplus seulement observer des livres avec mes "windows" comme uninstrument abstrait, mais aussi à les produire. Au début je ne mesuis pas rendu compte que faire ces interviews pourrait ainsi constituer unepratique artistique, mais comme j'ai commencé à organiser desexpositions entières autour d'un interview - comme c'est le cas avecJulia Kristeva et le projet "IN VITRO" (Genève et Internet) -je n'avais plus le choix de voir cette pratique aussi définie comme dite"artistique". Alors, c'est presque une conséquence dudispositif que j'ai mis en place pour faire passer mes activitésquotidiennes comme pratique artistique. Ce petit "surplus" deréflexion m'intéresse en tant tel et m'apprend encore plus dechoses.

 

MW : Qu'entends-tu par "passer" ? Veux-tu dire quetes activités quotidiennes passent dans ta pratique artistique, ou bienqu'elles passent pour une pratique artistique ?

 

RG : En fait, c'est plutôt que certaines de mesactivités quotidiennes - qui sont très bien choisi - passent pourune pratique artistique.

 

MW3 : Je ne t'imagine pas comme l'artiste malgré lui!Peux-tu en dire un

peu plus sur ce choix d'activités, et sur ledispositif qui te permet de

les pratiquer en tant qu'art ?

 

RG3: A partir des études de Edward Said et d'autresur l'interconnexion du monde politique et de représentation avecl'univers de culture et des études d'une façon comme je nel'avait pas connu avant j'ai commencé à réfléchird'une autre manière sur mes activités quotidiennes comme parexemple mes études des langues étrangères - des outils desurvie - , mes lectures des livres et mes visites des séminairesuniversitaires. Premièrement, j'ai commencé àétudier le Japonais en 1992 pour m'impliquer dans une sorted'orientalisme" déjà comme une pratique artistique. Un ansplus tard, je me suis retrouvé dans la situation à faire uneexposition de musée à Tokyo qui avait l'apprentissage de lalangue du lieu pour son centre. Pour souligner cette aspectproblématique d'étude j'ai aussi renouvelé une situationd'arrogance culturelle - typique pour tout sorte d'eurocentrisme - d'apporter25 livres avec un très longue titre "A Portable (Not So Ideal)Imported Library, Or How to Reinvent the Coffee Table: 25 books for instant use(Japanese Version)".

 

En moment où j'ai mis cela en place j'ai putravailler et des nouveaux situations se sont ouverts: par exemple, laréexportation du concept de cette bibliothèque portable,importé avec plusieurs version nationale m'a amené à fairedes expositions avec des séminaires de lecture sous des titre un peulong comme "Imported - A Reading Seminar in Relationship with my "APortable (Not So Ideal) Imported Library, Or How to Reinvent the Coffee Table:25 books for instant use (different national versions)". Aussi d'autrelangues étrangère à apprendre et àl'intégrer dans mon travail se sont ajoutés comme celle duGrecque moderne (l'orient et l'obsession imaginaire et finalement aussipolitique de Allemagne du 18 et 19 siècle), la langue korrienne (paysdans l'ombre et avec sombre histoire avec le Japon pour équilibrer lespréjugés que j'ai appris avec le japonais), le russe, l'italienet finalement même le français. Aussi j'ai commencéà intégré ma pratique d'enseignement des langues. Ledispositif qui me permet de faire tout cela en tant qu'art est plutôt latradition du "ready made" (vite fait) mais cette fois si en tant que"trying hard".

 

MW4 - Trying hard?

 

RG4: "trying hard" veut d'abord dire ce qu'il dit:faire des efforts, investir du temps, s'engager dans un apprentissage d'unelongue durée, alors tout ce avec lequel le "ready made" -déjà les mots l'indique - a fait fin. Il y a une ironie dans ceterm, qui signifie vraiment ce que tout le monde déteste dans l'art quidepuis Duchamps prétend de se prendre pour une pure et propre promenade.

 

 

MW5: Ta traduction de "ready made" par "vitefait" plutôt que par "déjà fait" me rappellele principe d'équivalence de Robert Filliou : "pas fait""mal fait" "bien fait". Tu sais qu'il a consacréplusieurs années à traduire en français un livre chinoisd'un maitre Zen. Il ne parlait pas le chinois et revendiquait en tantqu'artiste le côté peu orthodoxe de sa traduction, ainsi que lesécarts qu'il s'autorisait par rapport au texte original. Dans la mesureoù tu parviens, à force d'étude et depersévérance, à maîtriser convenablement une langue,quel écart peux-tu revendiquer par rapport à toute autre personnequi aurait besoin d'apprendre la même langue pour son travail ?

 

RG5: J'ignore le travail de cette traduction ideosyncratiquede Filliou. Mais l'intérêt de mon projet - l'apprentissage deslangues étrangères comme pratique artistique - ne se centre pasdans l'aspect ideosyncratique de cette entreprise sans fin ni pas non plus danstoutes les conséquences que cela a pour moi, ma vie, mes relations.Aussi les résultats sont à ignorer. En disant cela je ne veux pasdu tout revendiquer l'artiste en tant que transformateur omnipotent qui rendmême le dilettantisme en une oeuvre d'art avec sa simple implication.C'est attitude réactionnaire est d'ailleurs très à la modeet veut réinstaurer le modèle d'artiste en tant que génie,alors le pire et le plus dangereux des tous modèles pensable pour moi.

 

Non, je me vois plutôt comme un agent d'une fonctiond'un discours, comme un catalyseur pour des discours critiques concernant lapolitique et les implications de la langue, la compétitions des langueset les pouvoirs qu'ils les accompagnent et dont ils sont un produit. Alors,c'est beaucoup moins une question d'une pratique privé, pénibleet douloureux qu'une question idéologique, qui a pour but d'observertout un champs d'éducation, un complex éducatif. Dans ce senslà je ne vois pas trop des aspect commun avec d'autre projets qu'ilsimpliques des questions des langues étrangères. Et s'il y en aceux avec les même objectives je serais très content des lesconnaître plus et peut être collaborer avec.   

 

MW6: En fait la comparaison portait sur d'autres personnes(non-artiste) qui apprennent des langues étrangères"normalement", et dont on ne pensera jamais qu'ils font de l'art. Monfrère est ingénieur et il a appris le hongrois pour diriger uneusine à Budapest. Ma soeur a commencé à apprendre l'arabequand elle était institutrice au Caire et à son retour en Franceelle a fait un DEUG d'arabe. Quelle différence vois-tu entre leurapprentissage d'une langue au hasard des nécessitésprofessionnelles, et ton apprentissage d'une langue en tant que pratiqueartistique ?

 

RG6: Ce qui concerne la pratique il n'y a pas desdifférences. Mais ce qui concerne les buts il y en a une grandedifférence. Les buts de ton frère et ta soeur sont d'ailleurstrès intéressants, très classiques comme raisonsd'apprentissage qui déjà montrent plusieur aspects de pouvoir. LePouvoir d'intervenir dans un champs: alors celle d'une entreprisefrançaise ou partiellement financé par des intérêtsfrançais - je soupçonne - à l'étranger et celle del'éducation qui n'est riens d'autre qu'une prolongation d'une cultureavec tous ses avantages et ses désavantages. Je dis ça avecaucune arrogance d'une personne semi-souspendu du monde des obligations, dupouvoir et de pratique. Je veux observer cela en tant qu' artiste/critique quis'implique lui même avec des intérêts autres: notamment ceuxd'observation, d'expérience, d'implication qui me permets d'en parlersans vouloir ignorer mes propres intérêts particuliers.

 

Alors, tout court, la différence n'existe que dans laréflexion sur cette pratique et des produits dérivatifs(by-products) de représentation pour animer, localiser un débatcomme nous sommes en train de le faire. Mais la réflexion peut portertrès loin et dois dépasser les aspects purementidéologiques et politiques.

 

>RG6: Ce qui concerne la pratique il n'y a pas desdifférences. Mais ce qui

>concerne les buts il y en a une grandedifférence. Les buts de ton frère et

>ta soeur sont d'ailleurs trèsintéressants, très classiques comme raisons

>d'apprentissage qui déjà montrent plusieuraspects de pouvoir. Le Pouvoir

>d'intervenir dans un champs: alors celle d'uneentreprise française ou

>partiellement financé par desintérêts français - je soupçonne - à

>l'étranger et celle de l'éducation quin'est riens d'autre qu'une

>prolongation d'une culture avec tous ses avantages etses désavantages. Je

>dis ça avec aucune arrogance d'une personnesemi-souspendu du monde des

>obligations, du pouvoir et de pratique. Je veux observercela en tant qu'

>artiste/critique qui s'implique lui même avec desintérêts autres:

>notamment ceux d'observation, d'expérience,d'implication qui me permets

>d'en parler sans vouloir ignorer mes propresintérêts particuliers.

>

>Alors, tout court, la différence n'existe quedans la réflexion sur cette

>pratique et des produits dérivatifs (by-products)de représentation pour

>animer, localiser un débat comme nous sommes entrain de le faire. Mais la

>réflexion peut porter très loin et doisdépasser les aspects purement

>idéologiques et politiques.

 

MW7: Que sont pour toi les "by-products" etcomment se manifeste la

réflection qui distingue ton apprentissage d'unelangue en tant qu'art. Un

linguiste qui apprends une langue développe aussi uneréflexion sur sa

pratique dans le cadre même de sa pratique. C'estl'objet de sa pratique et

cela la caractérise comme"méta-apprentissage".

 

RG7: Les 'by-products', les produits dérivatifs sontpour moi plus ou moi tous les supposés objets d'art que je produits entant qu'artiste. Plus précisément je penses par exemple aux'travaux sur papier' (works on paper) qui ne sont que tes croquisd'études ou des cassettes vidéo ou des photos desséminaires. Mais 'by-product' n'est pas entendu comme quelque chose denégatif, mais plutôt positifs, comme une sorte de recycling dedéchets. La bonne raison pour laquelle je ne travail pas dans uninstitut linguistique est simple: je ne suis pas assez doué, je nequalifie pas. Le dilettantisme n'est que toléré dans le milieu del'art. Et ce qui concerne la réflexion tu n'as pas tort. Les linguistesaussi font un travail de 'méta-apprentissage' dont j'apprends beaucoup.Mais chez eux la réflexion doit être performante, propre etnettoyé du sujet. Comme artiste tout sorte de narration est permis yinclus la fabulation, le mensonge, l'analyse académique ou toute autreprésentation idéosyncratique. Alors, ce ne sont pas seulement lesdonnés, la fin linguistique ou réflexive, mais aussi tout le chemin,le milieux. Une des mes fins pourrait même vouloir devenir fou:m'implanter des petites bombes dans la tête qui un jours vonts s'activeravec une mission autodistructive. D'ailleurs je ne veux pas empêcher leslinguistes à suivre mes pats dans le monde de l'art s'il n'ont pas mieuxà faire. Mais si on a vraiment besoin de connaitre la différenceentre l'art et la linguistique je dirais que la linguistique estsupposée de connaître sa discipline alors ce qui n'est pas le casavec l'art ou cela doit être négocié de position àposition.

 

>RG7: Les 'by-products', les produits dérivatifssont pour moi plus ou moi

>tous les supposés objets d'art que je produits entant qu'artiste. Plus

>précisément je penses par exemple aux'travaux sur papier' (works on paper)

>qui ne sont que tes croquis d'études ou descassettes vidéo ou des photos

>des séminaires. Mais 'by-product' n'est pasentendu comme quelque chose de

>négatif, mais plutôt positifs, comme unesorte de recycling de déchets. La

>bonne raison pour laquelle je ne travail pas dans uninstitut linguistique

>est simple: je ne suis pas assez doué, je nequalifie pas. Le dilettantisme

>n'est que toléré dans le milieu de l'art.Et ce qui concerne la réflexion

>tu n'as pas tort. Les linguistes aussi font un travailde

>'méta-apprentissage' dont j'apprends beaucoup.Mais chez eux la réflexion

>doit être performante, propre et nettoyé dusujet. Comme artiste tout sorte

>de narration est permis y inclus la fabulation, lemensonge, l'analyse

>académique ou toute autre présentationidéosyncratique. Alors, ce ne sont

>pas seulement les donnés, la fin linguistique ouréflexive, mais aussi tout

>le chemin, le milieux. Une des mes fins pourraitmême vouloir devenir fou:

>m'implanter des petites bombes dans la tête qui unjours vonts s'activer

>avec une mission autodistructive. D'ailleurs je ne veuxpas empêcher les

>linguistes à suivre mes pats dans le monde del'art s'il n'ont pas mieux à

>faire. Mais si on a vraiment besoin de connaitre ladifférence entre l'art

>et la linguistique je dirais que la linguistique estsupposée de connaître

>sa discipline alors ce qui n'est pas le cas avec l'artou cela doit être

>négocié de position à position.

 

MW8: "Négocié de position àposition" est une très belle formule. Je la

trouve particulièrement juste. Pierre Lévy aaussi analysé cette topologie

de voisinage caractéristique des réseauxhypertextuels, et je crois que

l'on peut très précisemment décrirel'art aujourd'hui comme un réseau

hypertextuel (cf. "L'art après HyperCard"dans le catalogue "Générique"

Abbaye Saint-André, Meymac, 1992).

Ceci dit je ne suis pas sûr que cela soit trèsdifférent dans les autres

champs d'activité ou de recherche. Je trouvenéanmoins intéressante la

distinction que tu proposes avec cette formule car celaévite de

revendiquer l'idiosyncrasie du ratage (comme tu sembles lefaire bien que

tu t'en sois défendu au début de cetteconversation). Il faut vraiment se

méfier de la facilité et de la complaisanceque pourrait autoriser le

"retour du sujet" comme seule différenceavec d'autres pratiques qu'il

deviendrait légitime de mimer sans exigence niresponsabilité sous prétexte

que c'est de l'art et que si ça n'a pas de valeur auregard des critères de

la pratique en question, au moins ça parle du sujet,donc de l'artiste.

Paradoxalement c'est exactement cette perverseautodéfinition restrictive

de la pratique artistique comme jeu sans conséquenceque produisent sans

s'en rendre compte de nombreux jeunes artistes qui croientdevoir ignorer

la définition institutionnelle de l'art et quiévitent soigneusement de s'y

confronter comme à un problèmedépassé en tentant de ridiculiser d'avance

toute tentative critique qui pourrait menacer le contexteprotégé où la

société a besoin de les maintenir enliberté. C'est pourquoi je comprends

"by-product" d'une manière plus critique :une façon de donner au marché ce

qu'il attend pour ne pas soi-même incarner lamarchandise. Stratégie

critique indépendamment de la réussite ou del'échec commercial des

"by-product" mis en circulation. On sait que dansson constant

renouvellement le marché a besoin de marchandises quin'aient pas l'air de

marchandises, et d'artistes qui n'aient pas l'aird'artistes, comme les

marchands de pulls ont besoin de publicités quin'aient pas l'air de

publicité et de mannequins qui n'aient pas l'air demannequins. Les

quatrièmes de couverture d'Art Forum de BrunoBischofberger sont à cet

égard tout à fait exemplaires.

 

RG9: Je suis très d'accord sur ce que tu dis concernant la responsabilité et des pratiques sans conséquences, mais cela n'est pas du tout ce à quoi j'avait pensé. Mais il y a toute de sorte de ratage différant. D'un certain point de vue l'art ne représente qu'un ratage comparé avec les performances des grandes entreprises et des groupes transnationales. D'ailleurs je suis beaucoup plus critique envers l'hypertexte. Pour moi, l'hypertexte est devenue la langue officielle du capital, de la bureaucratie, de la manipulation et du pouvoir. On ne peux presque plus communiquer par téléphone sans entrer dans un labyrinthe hypertextuel: "choisissez du menue 1, 2, 3, etc.". L'internet s'est aussi réduit au clignotement hypertextuel: ce n'est plus un "inter-net" mais un "click-net", ou "inter-click"; aussi tout contrat aujourd'hui n'est qu'un hypertexte. Et si nous prenons la structure hypertextuelle comme modèle sociale du pouvoir nous avons un modèle descriptive de la politique d'aujourd'hui: personne veut prendre la responsabilité ni montrer son pouvoir: alors, c'est toujours un autre. Peut être, l'invention du hypertexte peut déjà être localisée dans des récites de bureaucratie de Franz Kafka.

 

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